C’est une époque de progrès mais aussi de grands bouleversements avec la Guerre de 1914-1918, la Crise économique de 1929 et la Deuxième Guerre mondiale. Les Basses- Laurentides souffrent encore d’une forte émigration vers les États-Unis, mais aussi vers Montréal où l’industrialisation et l’urbanisation s’accélèrent. L’arrivée du train et le développement du secteur manufacturier (la pulperie Delisle, la compagnie de papier Rolland, la Dominion Rubber, la Regent Knitting), le téléphone et l’électricité, la modernisation de l’agriculture, l’industrie du bois de sciage dans les Pays-d’en-Haut et la naissance de l’industrie touristique vont transformer les modes de vie et reléguer l’agriculture à un rôle secondaire.
Une nouvelle vocation pour Saint-Hippolyte
Les colons désertent leurs terres pour s’installer ailleurs ou pour travailler dans les usines de munitions en temps de guerre. En 1902, par exemple, Apollinaire Ouellette vend sa terre à J. C. Campbell et va s’établir du côté de Saint-Calixte. Médéric Coursol fait encan et part pour La Lièvre. Wilfrid Régimbald abandonne l’agriculture pour se faire gardien de la paix à Montréal. Beaucoup d’autres suivront leur exemple. Mais grâce aux touristes et aux villégiateurs qui fuient la ville à certaines périodes de l’année pour découvrir la campagne et ses charmes, la paroisse de Saint-Hippolyte se découvre une nouvelle vocation. L’Avenir du Nord rapporte ironiquement dans son édition du 6 juillet 1894 que « la paroisse de Saint-Hippolyte a sa manière bien à elle de comprendre les bons égards dus aux étrangers et de travailler à les attirer dans le Nord. Elle vient de destituer son secrétaire, M. Dorion, homme d’âge mûr, résidant là depuis 27 ans, conseiller pendant 16 ans, maire, secrétaire depuis 5 ans, avec des comptes toujours irréprochables, pour le remplacer par un riche rentier de Montréal arrivé sur le bord du lac depuis le printemps. » En 1897, le lac de l’Achigan est déjà le rendez-vous de nombreux touristes en quête d’air pur et 117 d’entre eux sont logés à la pension Les Bouleaux, à l’extrémité nord-est du lac. Mais c’est surtout à partir des années trente que le tourisme se développe. En 1936, par exemple, on insiste dans le même journal sur le fait que Saint-Hippolyte doit attirer les touristes « afin qu’ils viennent, cette année encore, plus nombreux que par les années passées. Notre paroisse, par sa courte distance de Montréal, ainsi que par ses nombreux lacs et son air si pur est l’endroit par excellence pour le tourisme. »
Mais un mode de vie traditionnel
Pendant que les touristes s’amusent, les villageois n’ont pas vraiment de « vacances » ni de « temps de loisir », au sens moderne du terme. Ils célèbrent et se détendent lors des fêtes religieuses ou au moment de la Saint-Jean-Baptiste ou, chez les anglophones, du Dominion Day. Le congrès de colonisation, la visite pastorale de l’évêque ou la tenue d’une élection sont d’autres événements dont ils profitent. Leur culture s’exprime aussi à travers le folklore que l’on retrouve dans leurs danses, leurs chants et leurs contes.
La vie quotidienne tourne autour de la famille, de l’église et de l’école, du magasin général et du bureau de poste, de l’hôtel ou du restaurant du village ainsi que de l’hôtel de ville. C’est un mode de vie rural et traditionnel où, pour se lancer en politique municipale, par exemple, il faut être du « bon bord », comme le rapporte L’Avenir du Nord en janvier 1901 : « Il ne s’est jamais fait à Saint-Hippolyte d’élections municipales aussi mouvementées, aussi sottes et peut-être aussi injustes que cette année. M. Cruchet, candidat libéral, est le seul homme vraiment instruit et entendu à Saint-Hippolyte et on l’a mis de côté parce qu’il n’est pas catholique. Il a été battu par les candidats bleus Adonise Viau et Joseph Guénette. » C’est aussi un mode de vie conservateur où le curé établit des règles strictes de conduite, comme le décrit Pauline Brisson dans le portrait qu’elle trace des années vingt, trente et quarante. « Le curé qui était en place à ce moment-là [Médéric Barbeau, 1928- 1935] était un homme âgé et malade, très scrupuleux et d’une sévérité excessive ; il était resté attaché – accroché serait un mot plus juste – aux coutumes anciennes. De voir les femmes en pantalon le rendait furieux. – Bonjour monsieur, disait-il d’une façon méprisante quand, par hasard, il rencontrait une femme en pantalon. Pour les « shorts », alors là, c’était encore pire ; il n’était même plus poli. Il avait fait passer un règlement par la municipalité interdisant le port du short au village, sous peine d’amende (…) Son remplaçant, Monsieur le curé Cléophas Pigeon [1935-1942] était un homme jovial qui avait beaucoup d’entregent et qui cadrait tout à fait bien dans une paroisse qui se développait rapidement du côté touristique. »
Le village à la merci des flammes
Le 2 mars 1933, les villageois sont durement éprouvés : un incendie, qui se déclare près de la cheminée du presbytère, détruit l’église, le presbytère, la salle municipale ainsi que les archives et les registres de la paroisse. C’est ainsi que la municipalité de Saint-Hippolyte se vit privée de nombreux documents se rapportant à son histoire. Comme il vente très fort, les flammes menacent l’école du village et le magasin Labelle, en face de l’église. Le curé Barbeau déclara le lendemain au journal L’Avenir du Nord que « si la paroisse avait eu des appareils pour combattre l’incendie ou simplement plus d’extincteurs chimiques on aurait pu étouffer l’incendie au presbytère même. » Ce tragique événement eut des conséquences dramatiques pour la famille de Carolus Thibault du lac Écho des 14 Îles : deux des fils, âgés d’une vingtaine d’années, qui avaient aidé à maîtriser l’incendie, meurent des suites d’une pneumonie peu de temps après. Les paroissiens ne se laissent pas décourager et reconstruisent leur église dans la même année grâce à une assurance-feu de 28 000 $. « L’église était construite », relate Mme Brisson, « mais il y manquait les derniers accessoires et les décorations. Monsieur Arthur Goyer, le maire, a donné la cloche.
Monseigneur l’évêque de Saint-Jérôme est venu la bénir et l’a baptisée « Estelle » – du nom de Madame Goyer, l’épouse de Monsieur le maire. C’est le jeune Laurier Labelle, alors enfant de chœur, qui a eu le privilège de sonner la première envolée de la cloche (…). M. Arthur Goyer a eu la générosité d’offrir, en plus, deux vitraux, un au nom de son père, Benjamin Goyer, et un autre en son nom. Monsieur Goyer a été un maire très apprécié qui a laissé de lui un bon souvenir (…). Monsieur Jean Lallemand, notre patron, pour sa part, a offert le vitrail de Saint-Jean l’évangéliste et plus tard, l’orgue électrique. » Un autre incendie se déclare dix ans plus tard et détruit le magasin général de M. Eugène Labelle, son entrepôt, aujourd’hui le restaurant Le Passant, et l’écurie derrière, de même que la boulangerie attenante au magasin, sur la rue Morin. Le magasin Blondin (l’actuelle Villa Ancestrale) fut épargné.
Les commerces et les services
On se rend au village pour assister à la messe du dimanche, poster une lettre, acheter des provisions à l’épicerie ou à la quincaillerie ou encore pour rencontrer du monde. Mais l’état des chemins ne facilite pas les déplacements de ceux qui vivent autour des lacs avoisinants ou des touristes qui commencent à affluer dans les années trente et quarante. « L’hiver, dès la première neige, raconte Mme Brisson, les autos étaient remisées. Faute d’outillage adéquat, les routes étaient peu propres à la circulation automobile, – même avec des chaînes autour des pneus. Entre le lac de L’Achigan et Saint-Jérôme, la ville la plus proche, il y avait une douzaine de milles. Le boulevard des Hauteurs n’était, dans ce temps-là, qu’une petite route de terre étroite et pleine d’embûches qui défonçait à certains endroits, surtout près de la route qui conduit au lac Connelly. C’était tout au plus passable pour la carriole ou les skis quand il faisait froid et tout à fait impassable au printemps au moment du dégel. ». Les chemins, dont la route qui traverse le village, seront asphaltés, sur une distance de 14 milles, entre 1947 et 1949. La réfection et le repavage du boulevard des Hauteurs se feront en 1965. On peut aller chercher « sa malle » à toute heure du jour au bureau de poste du village tenu par M. et Mme Joseph Dagenais. On y trouve aussi les articles qu’on a achetés par catalogue. « Autrefois, le catalogue Eaton était fort utile pour les gens de la campagne (…). Il y avait de tout là-dedans (…). Le catalogue nous rendait un grand service parce qu’ainsi, nous n’avions pas à nous rendre à la ville pour magasiner. Tout se faisait par la poste, sans avoir à payer pour notre déplacement en plus de notre achat, ce qui représentait une économie appréciable pour un petit budget comme le mien. Économie d’argent, économie de temps aussi. Nous étions gagnants sur toute la ligne (…). Le catalogue, comme le disait si bien la publicité, c’est le magasin ! »
L’hôtel Central
Émile Forget construit l’hôtel Central, le deuxième hôtel du village, en 1920. Les gens du village le fréquentent, mais aussi les touristes et les villégiateurs qui viennent passer les vacances d’été au lac de L’Achigan. Madame Brisson raconte : « À la quinzaine des garçons, employés du Bell et d’Eaton, le party se faisait à l’hôtel du village. Monsieur Forget, l’hôtelier, avait ajouté une salle de danse à son hôtel. C’était bien tenu et il n’était pas nécessaire de consommer pour y entrer. Les consommateurs étaient dans une pièce séparée de la salle de danse (…).
Entre les danses, dans les périodes de repos, il y avait toujours quelqu’un pour partir une chanson que tout le monde connaissait, une chanson à la mode et alors, tout le monde chantait en chœur. » Chaque événement qui se passe à l’hôtel fait la manchette dans le journal, surtout si des invités de marque s’y trouvent. Par exemple, en 1931, L’Avenir du Nord ne manque pas de rapporter que le samedi 5 décembre, plus de cent personnes se sont rendues chez M. Émile Forget, hôtelier, où une partie d’huîtres avait lieu. Il y eut aussi des chants, de la musique et de la danse. Parmi les personnes présentes, on remarquait les Saint-Vincent, Desnoyers, Deschambault, Massy, Maillé, Hotte, Renaud, M. Jos Gohier et ses filles, les Sigouin, les Forget… En 1939, l’hôtel est vendu à M. Bélanger. Ensuite, toute une série de propriétaires assureront la fonction d’hôtelier : les Diotte et Delorme, les Godmer et Chartrand, les frères Poirier et Jacques Henri. L’emplacement finira par perdre sa vocation hôtelière. Aujourd’hui, l’édifice abrite les bureaux de l’agence immobilière Royal Lepage et de la notaire Christine Raymond.
Le restaurant Jeté, Le rendez-vous laurentien, vers 1944. Ce restaurant avait été construit par M. Paul-Émile Lauzon vers 1937. Aujourd’hui, c’est la résidence de son frère, M. Vianney Lauzon.Le restaurant
Le restaurant est un autre lieu pour se rencontrer et s’amuser : « Nous sommes allés au restaurant P. Lauzon, raconte Pauline Brisson, où on pouvait danser au son du juke-box, manger des frites et boire une liqueur douce. Le juke-box, ou phonographe automatique, offrait une grande variété de disques populaires mais avant de mettre notre cinq « cennes » dans la machine, nous hésitions ordinairement entre deux choix : In the Mood ou Beer Barrel Polka qui étaient les deux disques les plus populaires cet été-là. Ce petit moment d’angoisse passé, il fallait voir avec quel entrain nous dansions le jitterbug sur cette musique boogie-woogie. » À la fin des années quarante, le restaurant de M. Jos Gohier, situé dans l’édifice entre l’épicerie boucherie de M. Léopold Bouchard et le magasin Labelle, est aussi très fréquenté. Lorsque les clients se font rares, M. Gohier sort ses pinceaux et peint des scènes d’hiver : les Lauzon qui passent avec leur carriole, le taxi du village, pour aller chercher des touristes à la gare de Shawbridge ou des enfants qui jouent dans la neige devant l’église, ou encore des skieurs qui chaussent leurs skis devant l’hôtel et s’élancent dans la côte du lac de l’Achigan. À la fin des années soixante, cet édifice appartient à M. Léopold Bouchard qui loue des chambres et tient un restaurant en bas auquel il a donné le prénom de ses enfants, le DanMarc. Mme Suzanne Thibault y a travaillé comme serveuse : « Après la fermeture des hôtels à une heure du matin, tout le monde venait au DanMarc qui restait ouvert jusqu’à quatre heures du matin, ça bougeait beaucoup à l’époque ! ».